Il y a quelques temps, j’ai lu un excellent livre, enquête sur le système scolaire public français, Le pacte immoral, par la journaliste Sophie Coignard, paru chez Albin Michel. La lecture en est douloureuse, assurément, pour toute personne ayant approché ce système ubuesque, en tant que prof, élève ou parent : mais aussi rassurant, parce qu’au vu de la culture générale d’un collégien moyen, on se demanderait si on est tombés sur une génération entière de fainéants et/ou de crétins. Eh bien non, les générations de petits jeunes ne sont ni plus ni moins intelligents que les générations précédentes, ils sont juste perdus dans un système d’apprentissage qui met une énergie étonnante à mettre en place toute sorte de stratégies d’évitement, justement, de l’apprentissage.
Et là, je me demande, pourquoi ? Je me pose cette question depuis quelques mois, depuis que j’ai lu, justement, cet excellent ouvrage ci-dessus. Quel intérêt a une caste politique et de pouvoir à suivre ainsi des méthodes "pédagogiques" nouvelles, dont on sait aujourd’hui l’effet catastrophique et néfaste ?
La sociologue que je suis penserait facilement qu’il s’agit de l’éternel réajustement de société, suite aux différentes mesures pour garantir l’égalité des chances et l’élargissement de l’école à tous, afin de protéger ses propres enfants et ses propres privilèges. On enlève de la main gauche ce qu’on a donné de la main droite.
Mais voilà, le bisounours que je suis ne sait se résoudre à penser que le monde ou la société sont en réalité un vaste complot, et c’est sans doute ce que je reproche un peu à l’ouvrage de Sophie Coignard. Je pense, et pour être honnête elle le dit aussi, qu’il y a de nombreuses bonnes volontés, mais que pour une malheureuse conjonction de raisons diverses, aucune de ces bonnes volontés n’arrive à vraiment changer de cap au train fou qu’est devenu l’éducation nationale, et qui naturellement court tout droit vers le précipice, avec nos enfants dedans, tels une masse de lemmings au printemps.
Plutôt, il faut se rendre à l’évidence, le dossier n’intéresse pas grand monde. Quel homme politique aujourd’hui prendrait ce dossier à bras le corps ? Même ceux de la base, ceux qu’on ne peut pas soupçonner de calculs de pouvoir et de carrière politique, renoncent avant même de s’y approcher : et pourtant, ils ont aussi des enfants qui en pâtissent, et font parfois une analyse tout à fait lucide de la question.
Je me souviens qu’aux temps de mon lycée, à l’époque où on ne se gênait nullement de dire qu’on étudie de la géométrie le lundi, de l’algèbre le mardi, de la grammaire le mercredi et de la littérature le jeudi, mon prof de maths fraîchement sorti des établissements formateurs, première génération de ce personnel éducatif qui ne se veut plus enseignant, avait refusé de nous donner des exercices à faire à la maison, prétextant que nous étions, nous élèves, parfaitement à même de nous débrouiller à prendre des exercices dans notre livre et les faire.
Théoriquement juste : pratiquement idiot, parce que quand j’ai essayé, j’ai passé des après-midi entiers à tenter de trouver les exercices qui allaient le mieux exercer les apprentissages faits en classe, et le boulot, à tenter de me diriger à l’aveuglette, a été monstrueux. De quoi dégoûter : et il a presque réussi son coup, le bougre, si ce n’est mon orgueil démesuré qui m’a fait décider que j’allais lui montrer qui était plus intelligent, entre lui et moi.
J’ai donc découvert, en sondant les cours reçus par mon rejeton collégien, qu’il n’a jamais entendu parler de certains concepts de grammaire, que les règles diverses en maths, c’est de l’apprentissage par cœur, que les explications c’est des choses bien trop compliquées pour ces petites têtes, qu’il vaut bien mieux les laisser tous développer leur propre savoir d’enfant et trouver leur propre chemin. Résultat : en cinquième ils révisaient pour la énième fois les opérations, addition, soustraction, multiplication et division, et personne en classe ne connaît ses tables de multiplication. En quatrième, avec ce bagage, ils passent à étudier les puissances, les équations en trois cuillères à pot, normal, il faut rattraper le temps perdu, et abordent nonchalamment la trigonométrie, sans même que le nom de cette discipline ne leur soit nommé - sans doute considéré comme un gros mot.
Que dire de l’état de l’orthographe de ces ados, à l’âge des premières découvertes littéraires, qui pour une énorme partie sortira de l’éducation obligatoire sans même savoir lire, et encore moins écrire (20% même pour les chiffres les plus optimistes...) ? kiconk est vu un texte ecri part un colegian ces de quoi jeu parle.
Depuis quelques mois, j’ai donc instauré le cours de français du dimanche. Nous avons trouvé, avec mon Kikoolol, un site qui structure intelligemment la grammaire, puis la syntaxe française, et ça n’a pas été chose facile : pas un site français de disponible, il faut chercher au canada pour avoir quelque chose de compréhensible : par moi, et par Kikoolol.
Nous abordons des petites leçons, rappel de ce qu’il devrait, théoriquement, avoir appris dans les années, et c’est avec surprise (toujours, je ne m’y fais pas) et bonheur, que je l’entends s’exclamer « ahhhhhhhh !! compris, maintenant !!!! », concernant le statut de tel ou tel mot, ou partie de phrase. Ensuite, c’est le tour des exercices : des trucs à l’ancienne, genre « sachez distinguer “leur” pronom ou “leur” déterminant ». Et là aussi, à la fin de l’exercice, miracle : Kikoolol découvre le monde merveilleux des pronoms, et accorde enfin parfaitement.
Avec un peu de chance, il pourrait bientôt découvrir que le français prend de jolies couleurs de sens... suivi par toutes les autres matières, illuminées - enfin ! - par la logique.
Ce que je peux dire certainement déjà, c’est que ces séances d’apprentissage parallèle confirment les soupçons ci-dessus : perdus dans un labyrinthe, où les quelques rares jalons posés par les nombreux enseignants de bonne volonté, tentant de faire au mieux avec ce qu’ils peuvent, rendent les choses parfois même encore plus compliquées, les enfants ont une énorme confusion en tête, tout est au même niveau, puisqu’aucune hiérarchisation ou classement ne sont dignes d’être enseignés, et où même les étapes du raisonnement logique, finalement, perdent complètement leur sens, perdent leur liens causaux, et peuvent se remplacer finalement les unes les autres.
Tout d’un coup, mon Kikoolol s’éveille et commence à comprendre, avec si peu, qu’on peut penser le monde, et que le monde prend du sens, comme ça. Que non, ce n’est pas une donnée de plus à subir. Et il me semble bien que pour la première fois de sa vie, ce labyrinthe dans lequel il progresse si péniblement et si lentement depuis des années, devient moins ardu à franchir avec une carte...
On s’en serait doutés, finalement.